L’entretien exclusif de Ngouda Fall KANE, ancien Président de la CENTIF

NGOUDA FALL KANE, ANCIEN PRESIDENT DE LA CENTIF ET PRESIDENT DE LA L’ONG ACCA

Ancien Inspecteur général d’Etat et ancien directeur de la Cellule nationale de traitement des informations financières, Ngouda Fall Kane, qui dirige maintenant l’ONG Alliance contre le crime organisé active, fait un tour d’horizon de l’actualité judiciaire.

Monsieur Kane, vous êtes aujourd’hui à la tête de l’ONG Alliance contre le crime organisé active (ACCA) à l’échelle du continent. Pourquoi avoir fait ce choix après l’administration?

En 2017, j’étais encore à l’Inspection Générale de l’État. L’idée de mettre en place une association chargée de la lutte contre le crime organisé en Afrique m’a effleuré l’esprit. J’ai concerté certains amis et nous avons mis en place l’association. Il nous a fallu d’ailleurs un an pour obtenir le récépissé. L’idée, c’était quoi? J’avais acquis une certaine expérience en matière d’enquête, parce que dans toute ma carrière, je n’ai fait que de l’enquête. J’étais comptable public, j’étais obligé, dans ma mission de payeur et de percepteur d’impôts, etc., de contrôler. Je contrôlais ce que je payais, je contrôlais également ce que je recevais. J’ai été comptable public pendant pratiquement 25 ans. Ensuite, président de la Centif, Institution Générale de l’État, j’avais acquis une certaine expérience qui devait me permettre de transmettre cela aux plus jeunes. Et mon ambition, ce n’était pas uniquement le Sénégal, compte tenu du caractère transnational du crime organisé. Il fallait avoir quand même une étendue géographique beaucoup plus large, c’est-à-dire l’Afrique, que je connais le mieux. En tant que président de la Centif, j’ai traversé l’Afrique, et j’ai eu à parrainer beaucoup de structures en Afrique de l’Ouest, comme en Afrique de l’Est, pour entrer au groupe Egmond. Le groupe Egmond, c’est l’association des cellules de renseignements financiers du monde. J’ai eu à les parrainer. Donc, j’ai dit que l’association devait, si vous voulez, concerner toute l’Afrique. Et quand je suis parti à la retraite en 2018, l’association a continué, mais c’était très difficile, parce qu’une association, elle n’est souvent pas bien perçue. Alors, nous avons démarré. Ce n’était pas facile. J’ai été aidé sur le plan de la réflexion et aussi des moyens par le professeur Xavier Raufer, qui m’a beaucoup soutenu. Il est professeur au CNAM, c’était le directeur des études de l’Institut de menace criminelle contemporaine de l’Université de Paris de Panthéon-Assas, dont j’étais membre du comité scientifique, qui m’a beaucoup soutenu. Alors, quand j’ai pris ma retraite, comme vous le savez, je me suis un peu amusé à faire de la politique. Et pendant cette période-là, l’association a été mise en veilleuse. C’est après la politique que je me suis battu pour en faire une organisation non-gouvernementale. Devenue ONG à partir de juin 2024, elle regroupe des personnalités d’horizons divers. Il y a des magistrats, il y a le professeur Xavier Raufer, qui est le directeur des études du CNAM, Pôle sécurité et défense. Il y a Marie-Christine Dupuis-Danon, directrice générale de C3Com à Paris. Il y a le professeur Benoît Tine, de l’Université de Ziguinchor. Il y a de très grands banquiers, directeurs de conformité des banques. Il y a des Camerounais, spécialisés en communication. Il y a également, dans le comité exécutif, qui représente à peu près le comité d’administration, des Burkinabés. Il y a aussi un ancien président de la Centif, qui est un inspecteur du Trésor, M. Robert Tonde, etc. Il y a une vingtaine de grandes personnalités avec moi.

Et aujourd’hui, quels sont les grands chantiers portés par l’ONG en matière de gouvernance financière?

Les grands chantiers portés par l’ONG, c’est en fait la vulgarisation des normes internationales et des bonnes pratiques en matière de lutte contre les crimes organisés sous toutes ses formes. Le soutien des recherches sur les vulnérabilités, les tendances et questions émergentes du crime organisé et ses infractions de base, c’est les grands chantiers de l’ONG. Donc, contribuer auprès de l’État et des acteurs de la lutte contre les crimes organisés en termes d’information et de formation, pour me résumer. Pour cela, nous avons dégagé des moyens d’action, tels que l’organisation sur une base trimestrielle de séminaires, des rencontres avec des scientifiques, divers acteurs de la criminalité transnationale, l’organisation de sessions également, sessions de formation sur des sujets relatifs à la lutte contre les crimes organisés, etc. Nous envisageons d’organiser, en octobre 2025, les premières assises de la recherche opérationnelle sur les crimes organisés en Afrique. Avec des experts nationaux sénégalais, des experts africains, des experts européens et des experts américains. La recherche opérationnelle par rapport, par opposition à la recherche stratégique, parce que dans la recherche stratégique, tout a été dit, c’est la recherche normative, les textes et consorts. Mais pour la recherche opérationnelle, c’est les moyens d’action qui sont mis en œuvre pour lutter réellement contre les crimes organisés.

Le rapport d’audit de la Cour des comptes 2019-2024 fait état d’actes de prévarication assez graves. Quelle lecture faites-vous de l’ouverture d’enquêtes judiciaires sur ces affaires?

C’était une obligation de faire l’état des lieux. Les autorités sénégalaises ont fait l’état des lieux et cet état des lieux a été confirmé par un audit contradictoire pour la Cour des comptes. Je crois qu’il faut saluer cette démarche-là. C’est une première au Sénégal et une première en Afrique. C’est extrêmement important. La démarche empruntée par la Cour des comptes est, à mon sens, une démarche pertinente parce qu’elle est contradictoire. Ils ne se sont pas contentés uniquement des éléments dénoncés, des informations fournies par l’État. Ils ont fait un audit contradictoire. L’État n’a pas fait d’audit. Il a fait la situation, l’état des lieux, l’état des finances publiques et ils ont trouvé des difficultés. Ils ont transmis à la Cour des comptes. La Cour des comptes a fait un audit contradictoire et a confirmé. Des informations pertinentes ont été fournies dans le rapport, pertinentes, mais graves également, très graves qui, à mon avis, sont plus que graves, inquiétantes en termes de dérives. Sur, si vous voulez, le déficit budgétaire, de dérive sur l’endettement. Même si on dit aujourd’hui que le Sénégal gagne sa solvabilité, je veux bien, mais un endettement, quand il est lourd, est un danger. 100% d’endettement, c’est-à-dire nous, tout ce que nous produisons, c’est en réalité pour payer la dette. Oui, 100% d’endettement, c’est très grave. Déjà, moi, j’ai eu à travailler sur un document qui m’avait été transmis quand j’étais inspecteur d’État. Une note que je devais faire pour le compte du vérificateur général. Dans cette note, moi, j’attirais l’attention. En ce moment, on était à 60 et quelques pourcents. Je disais que quand l’endettement dépasse déjà 60%, il y a lieu de s’inquiéter et d’encadrer la dette, d’encadrer l’endettement. C’est important, mais aujourd’hui, à 100%, je dis que c’est très grave. C’est très grave, mais on ne va pas se mettre à se lamenter. Il faut qu’on prenne des dispositions. Il faut aujourd’hui un plan intérimaire de relance des finances publiques au Sénégal. Il le faut. On ne peut pas prendre des mesures éparpillées. Il faut un plan de relance, comme l’a dit le Premier ministre. Il faut un plan pour, si vous voulez, corriger le déficit budgétaire en termes de niveau, mais également de financement. Il faut également une stratégie de désendettement, mais aussi d’endettement, parce qu’on ne peut pas ne pas s’endetter.
Cela, tout simplement parce qu’il y a un déphasage important entre les ressources de l’État et les charges de l’État. Les ressources de l’État ne peuvent pas couvrir l’ensemble des charges de l’État. La solution, c’est quoi? C’est l’endettement. Il peut être interne comme il peut être externe, mais l’endettement interne ne suffit pas pour financer les besoins de l’État. Le besoin financier de l’État dépasse les capacités de mobilisation des ressources internes. Donc, il faut nécessairement s’endetter, mais il faut une stratégie d’endettement et une stratégie de désendettement. Il faut qu’ils nous disent comment ils comptent faire dans un plan qui sera, si vous voulez, couplé au projet, ce qu’ils appellent le référentiel 2050. Il faut un plan intérimaire pour corriger et voir comment régler les problèmes des Sénégalais sur la base de toutes les difficultés qui sont issues de ce dérapage-là. Les Sénégalais, comme je l’ai dit, ont besoin de manger, de se soigner, de travailler, d’être sécurisés.

L’Apr a saisi la directrice du FMI par un contre-rapport. Quelle lecture en faites-vous?

Mais c’est très grave. Cette démarche-là, c’est p une démarche inédite. Qu’est-ce que le FMI va faire avec le rapport de l’Apr? Autant l’Apr a la possibilité de contester politiquement le document qui leur a été présenté, mais le FMI est lié à des États, non à des partis. Je ne pense pas que ce soit le rapport de l’Apr qui sera confronté au rapport de l’État. Je ne suis pas pour cette démarche-là. Je fustige cette démarche-là. Je trouve ça très dangereux. Le Fmi a des limites. Le FMI ne devait pas l’accepter. Je le dis et je le maintiens. L’Apr, c’est un parti politique. Quelle est la valeur juridique du document que l’Apr peut transmettre au FMI par rapport au rapport de l’État ? Non, je ne suis pas d’accord, Le FMI peut, comme il l’a fait pour certains États, commanditer un rapport, un audit international, un audit indépendant pour vérifier la véracité, en tout cas, pour contrôler la véracité des informations fournies par le rapport de l’État, mais pas à travers le rapport de l’Apr. Je crois que c’est une démarche qui n’est pas très pertinente. C’est un précédent dangereux. Le FMI aurait dû éviter même de rencontrer l’Apr. Je ne le dis pas parce que je suis pour ou contre l’affaire.

Cinq anciens ministres seront jugés par la haute Cour de justice. Pour vous, est-ce un tournant dans la lutte contre l’impunité ou une simple opération de communication?

Non, ce n’est pas une opération de com. Mais aujourd’hui, ce qu’il faut saluer, c’est la volonté politique qui a été dégagée pour lutter contre la criminalité économique et financière. Qu’on le veuille ou pas, c’est la réalité. La reddition des comptes est une obligation, mais sans conflit d’intérêt. Quand on gère, on est obligé de rendre compte. Mais quand, dans la reddition des comptes, on se rend compte qu’il y a des dérapages, des poursuites judiciaires peuvent être prononcées et des informations judiciaires peuvent être ouvertes. Pour les premiers ministres ou les anciens ministres, c’est la Constitution qui prévoit qu’on les traduise devant la haute Cour de justice. Parce qu’ils bénéficient de ce qu’on appelle une exception de juridiction. Ce n’est pas une immunité. Je crois que c’est une démarche à saluer, mais il ne faut pas oublier la présomption d’innocence. Ce n’est pas parce qu’on les a traduits devant la haute Cour de justice qu’ils sont coupables. Ils sont soupçonnés d’infractions qui ont poussé les autorités à demander leur mise en accusation par l’Assemblée nationale. Mais jusqu’à présent, les infractions ne sont pas qualifiées. Ça appartient à la justice de le faire. Donc il y a une présomption d’innocence. Espérons que tout va se passer dans la transparence.

D’accord. Aujourd’hui, comment appréciez-vous la création du parquet financier, que vous avez longtemps suggéré ?

J’applaudis. Depuis 2005, après la création de la Centif, je me suis battu contre les lenteurs dans le traitement judiciaire des rapports de la santé. Mais aujourd’hui, c’est un problème qui est réglé. Le maillon qui manquait au dispositif, au système, c’était le Pool judiciaire et financier. Aujourd’hui, il est là, il est mis en place et il fonctionne. Et les résultats commencent à tomber. Ah oui, les résultats commencent à tomber. Ils sont en train de travailler. Je crois qu’il faut saluer et les encourager.

Vous affirmez que le blanchiment est le fils aîné de la corruption. Aujourd’hui, quelles sont, selon vous, les grandes filières de blanchiment identifiées au Sénégal ?

Oui, le blanchiment est le fils aîné de la corruption. Cela veut dire tout simplement, madame, que la corruption est une infraction de base du blanchiment. Si on ne fait pas de la corruption pour prendre l’argent et le garder, on fait de la corruption pour le mettre dans les banques, pour acheter des immeubles, pour, si vous voulez, acheter de l’or, acheter des véhicules, etc. C’est ça le blanchiment. Donc le blanchiment est une infraction de conséquence de la corruption. C’est pourquoi je disais que c’est le fils aîné de la corruption. Maintenant, le secteur le plus touché aujourd’hui par le blanchiment, c’est le trafic de drogue. La drogue qui circule dans ce pays est monstre, elle est énorme. Vous avez vu les statistiques de la douane, et les statistiques de la gendarmerie. Il y a également la commande publique. La commande publique a longtemps été un terreau fertile de la corruption. Il y a également les administrations, l’administration, de manière générale, parce que la corruption s’était longtemps installée dans la sphère administrative. Il y a également la sphère politique. Il y a également l’éducation. Oui, il y a l’éducation, le secteur de la santé. Regardez la vente illicite de médicaments. Et on ne peut rien contre ces gens. Regardez également les médicaments contrefaits, qui sont plus graves que la drogue. J’ai parlé de commandes publiques, j’ai parlé de la drogue. Dans la commande publique, il y a les BTP. Vous savez, il y a un rapport, je crois que c’est un rapport du Giaba, qui disait qu’en 2023 ou 2022, au moins, plus de 200 milliards de F CFA ont été investis dans les BTP. Ça, c’est du blanchiment. Donc voilà, il y a la lutte aussi. C’est pourquoi d’ailleurs, le législateur a tellement bien fait qu’il a intégré dans la loi de 2024, ces organisations-là. Dans la loi de 2024, relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et la prolifération des armes légères, la lutte est dedans.

Vous avez dirigé la Centif, aujourd’hui, est-ce qu’elle est à la hauteur de sa mission?

La Centif, elle est plutôt en train de faire un travail appréciable. La Centif aujourd’hui, est dirigée par un homme sur qui on a beaucoup d’espoir, en termes de probité, mais sur le plan également professionnel et intellectuel. C’est un inspecteur des impôts doté d’un expert-comptable. Je crois que c’est un professionnel du chiffre. Il pourra procéder à une appréciation pertinente des analyses qui sont faites par ses collaborateurs. C’est très important.

Est-ce qu’aujourd’hui, vous pensez que les organes de contrôle et les organes d’enquête administrative ont les coudées franches pour travailler en toute indépendance?

Je voudrais faire la différence au niveau des organes de contrôle. D’abord, les organes supérieurs de contrôle, c’est, si vous voulez, la Cour des comptes et l’Inspection générale d’Etat. L’organe de contrôle le plus indépendant, à mon sens, je suis ancien Inspecteur général d’Etat, mais à mon sens, c’est la Cour des comptes, du fait de son appartenance au pouvoir judiciaire. Les autres organes de contrôle, c’est leur ancrage institutionnel. La démarche de travail de certains corps de contrôle pose problème. Il faut aujourd’hui faire de sorte à résoudre ce problème d’ancrage institutionnel pour permettre à certains corps de contrôle d’être beaucoup plus indépendants. Qu’on puisse faire sortir les corps de contrôle au niveau, par exemple, de la présidence. L’inspection générale d’Etat peut quitter la présidence. On peut essayer de voir un ancrage institutionnel ailleurs. J’avais proposé, moi, la mise en place d’une haute autorité de la bonne gouvernance, y mettre tous les organes de contrôle et les organes d’enquête administrative au sein de cette haute autorité, sauf la Cour des comptes. Ça leur permettra de dialoguer. Quand l’Ofnac a fait une enquête sur la corruption, quand il y a des soupçons de corruption, l’Ofnac peut informer la Centif par une déclaration de soupçons, on aurait pu le prévoir. L’inspection générale d’Etat aussi aurait pu le faire. Et l’Inspection générale d’Etat a une compétence de lutte contre la corruption. Il n’y a pas que l’Ofnac. Dans les textes portant l’organisation de l’IGE et les statuts, il y a la lutte contre la corruption.

Vous avez longtemps travaillé dans l’ombre contre les enquêtes financières. Quels souvenirs forts gardez-vous de cette période ?

J’ai eu énormément de problèmes. J’ai eu des problèmes, comme j’ai eu également des satisfactions. J’ai eu beaucoup de satisfactions. Il y a quelqu’un qui disait à l’époque que la Centif avait travaillé sur du menu fretin. Ce n’est pas vrai. La Centif a travaillé sur de très grands dossiers concernant de très grandes autorités. Alors, il y a un élément qui m’a marqué que j’ai abordé dans mon livre. Une fois en pleine nuit, le président Abdoulaye Wade me convoque et me dit de venir le voir au Palais par l’entremise de Madické Niang. Je lui ai indiqué que je pouvais venir, mais sous deux conditions. Je ne lui donnerai aucun document et je n’allais pas le rencontrer en présence de son fils. Je suis rentré dans le bureau, le Président Wade m’a traité de tous les noms d’oiseaux. Il m’a dit « Vous êtes rentré dans mes jardins. Vous ne connaissez pas votre mission. Vous ne savez pas ce que vous faites. Vous êtes nul. » Je me suis tu. Mais c’est un homme élégant. Son élégance a été de me laisser parler. Pendant une heure de temps. Il m’a dit: « vous ne voulez pas qu’on blanchisse, alors que les Etats-Unis ont été construits sur le blanchiment. Je lui ai expliqué. Il m’a dit M. Kane, vous m’avez réconcilié avec la Centif.

Et qu’est-ce qu’il vous reprochait?

J’avais fait des enquêtes sur son entourage. Et ça, c’est quelque chose que je n’ai jamais oublié. Et à un moment donné même, il a fallu que Madické Niang se mette entre lui et moi. Je lui ai dit, mais M. le Président, attention, hein. Vous n’aimez pas ce pays-là mieux que moi, plus que moi. Vous êtes plus âgé que moi et mes enfants sont plus jeunes que vos enfants. Voilà ce qui se passe et je vous le dis. Ils ont fait ceci, ils ont fait ceci, ils ont fait ceci, voilà. La deuxième chose qui m’a beaucoup créé de problèmes, c’est quand ils ont voulu modifier la loi de 2004. Parce qu’ils voulaient bloquer les dossiers de la Centif. Ils demandaient au Procureur de bloquer. Le procureur leur a dit que la loi lui fait obligation de transmettre directement à un juge d’inspection. Alors, ils ont pris un texte. Quand j’ai été informé au cours du Conseil des ministres, je suis sorti et face à toutes les radios qui étaient à Saint-Louis, je leur ai dit, c’est un recul. J’ai dit tout ce que je pensais. Et les gens ont dit au président, mais ce garçon-là, il faut le relever. Comment peut-il se mettre là et attaquer l’État? Cela ne m’a pas suffi. Je suis revenu à Dakar, j’ai avisé tout le monde, la Banque mondiale, le Fonds monétaire, le groupe Edmond, les Américains. J’ai avisé tout le monde. Tout le monde était derrière moi. Quelques jours après, la commission des lois de l’Assemblée nationale me convoque. J’étais là-bas avec les membres de la Centif. Je leur ai dit, si vous touchez la loi, je vais sortir, je vais démissionner et j’appellerai toute la presse, je vais leur dire pourquoi vous voulez toucher à la loi. Et Doudou Wade est sorti, je crois que c’est lui qui a réglé le problème. Ça, c’était avant le 23 juin. Et c’était très grave pour le Sénégal, en termes de conformité.

Avez-vous été confronté à des pressions politiques ou des tentatives d’étouffer certains dossiers?

Oui. Mais moi, je n’ai étouffé aucun dossier. Moi, j’ai transmis. J’ai transmis tous les dossiers. Ce qui m’a valu des insultes. Il y avait plusieurs dossiers. J’avais remis plus de 80 dossiers avant de partir, une centaine de dossiers à la justice concernant des ministres, des autorités étrangères. Je vais vous raconter une petite anecdote concernant certaines autorités étrangères. Une fois, je reçois le coup de fil d’un ministre de l’Intérieur. C’était Bécaye Diop. Il m’a dit: »le Président vous demande de lever le blocage du compte que vous avez fait. Je lui ai dit: « Ce n’est pas moi qui l’ai bloqué. Tu dis au Président que ce n’est pas moi et que je ne lève rien. Il n’a qu’à s’adresser à la justice. » Il y a eu énormément de pression. Je ne vivais même pas. Oui, on m’a créé des problèmes, des difficultés. Pourquoi ? Parce que la Centif gère une partie de la sécurité de l’État. Ça, c’est très important. Il ne faut pas l’oublier. C’est pourquoi tous les dossiers qu’on doit envoyer doivent être des dossiers pertinents. Il gère une part de la sécurité de l’État.

CODOU BADIANE