PARTICIPATION DE MONSIEUR NGOUDA FALL KANE, PRESIDENT DE L’ONG ALLIANCE CONTRE LE CRIME ORGANISE EN AFRIQUE « ACCA » AUX  XIVèmes  ASSISES DE LA RECHERCHE STRATEGIQUE 2024

 

INTERVENTION DE MONSIEUR NGOUDA FALL KANE,

PRÉSIDENT DE L’ONG ALLIANCE CONTRE LE CRIME ORGANISE EN AFRIQUE « ACCA »

AUX  XIVèmes  ASSISES DE LA RECHERCHE STRATEGIQUE 2024

DU 26/09/2024 À PARIS

 

      SUR DES  DANGERS ÉMERGENTS EN AFRIQUE

 

L’Afrique compte environ 1,4 milliards d’habitants, soit 17,2% de la population mondiale,  réparties sur 55 Etats. Malgré sa richesse avec 30% de réserves mondiales de minéraux, 8% de réserves mondiales de gaz naturel, 12% de réserves mondiales de pétrole, un quart des terres cultivables du monde, elle est confrontée aujourd’hui à des contraintes fondamentales de développement économique et social. En 2023, l’Afrique représente 3% du PIB mondial (soit 2857 milliards de dollars US) et reste le continent le plus pauvre avec 34% de sa population vivant en deçà  du seuil de pauvreté (estimé à 1.90 dollars) en 2019. Cette image désolante de l’Afrique est liée d’une part, à la mal gouvernance économique et d’autre part, à certaines activités criminelles, dont certains  ont faiblement existé dans le passé et d’autres émergents et aggravé par la mondialisation.

Ainsi, notre présentation va porter sur ces dangers qui secouent présentement le continent  africain. Il s’agit:

I/ Des Crimes environnementaux                                                 

Le processus de déforestation de l’Afrique est absolument inquiétant pour un continent qui était censé abriter une biodiversité que lui enviait le reste du monde.

Ainsi, pour  la RDC qui détient cent trente-quatre (134) millions d’hectares de forêt, la Banque mondiale estime que les concessions illégales d’exploitations forestières par les responsables politiques et administratifs sans scrupules, ont fait perdre particulièrement, pendant la guerre qui a débuté en 2012, cinquante (50) millions d’hectares de forêts, ce qui est d’une extrême gravité pour l’environnement, au regard de la centralité des forêts dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

De façon globale la FAO estime que l’Afrique centrale, riche de deux cents (200) millions d’hectares de forêts, perdrait quatre (4) millions d’hectares, par an, du fait de l’homme, pour sa survie mais, aussi, du fait de la cupidité de ses dirigeants politico-administratifs.

Pour ce qui est du Sénégal en Afrique de l’Ouest, sa partie sud que représente la Casamance, du fait de la corruption de certains de ses hommes politiques, ses responsables administratifs et les autorités gambiennes, aurait perdu dix milles  (10 000) hectares sur ses trente mille (30 000) hectares de forêts, consécutif à la coupe du bois  de rose en destination d’un pays asiatique via la Gambie. Celle-ci, dans la destruction mafieuse de la forêt Casamançaise, aurait perçu à cet effet, entre 2014 et 2015, plus de deux cent quarante (240) millions de dollars US de recettes d’exportation, ce montant n’étant que la partie visible de l’iceberg.

Par ailleurs, la plupart des Etats africains côtiers, disposant de ressources halieutiques considérables, ont passé des accords de pêche pour des préoccupations d’ordre budgétaire, avec certains pays développés dont les pays de l’Est (Russie, Lituanie, Géorgie etc.). Ces accords ont provoqué la destruction de nos produits halieutiques sans  aucune stratégie de régénération de l’environnement marin.

La Convention africaine sur la conservation et la protection du sol, des eaux, de la faune et de la flore, dans sa version révisée, bien qu’entrée en vigueur depuis 2016 tarde encore à être appliquée,  pour des raisons politiques et de laxisme.

L’Afrique doit aussi avoir des politiques fortes de traitement des eaux usées, des divers déchets toxiques, des ordures, et de reboisement intensif (comme l’expérience de la grande muraille verte)[1].

II/ Des crimes numériques

L’escroquerie en ligne représente probablement la menace la plus redoutable par sa fréquence et le nombre de ses victimes. Les malfaiteurs exploitent la vulnérabilité des populations et l’insécurité ambiante pour réaliser leurs crimes.

Les techniques d’hameçonnage pour voler les identifiants et les mots de passe, les campagnes d’envoi massif de mails contenant des virus, le piratage de comptes, l’attaque des systèmes d’exploitation par des logiciels malveillants, etc. ont pour victimes préférées, les entreprises, les organisations et les particuliers qui font des transactions financières en ligne. L’Afrique occupe le haut du pavé de la croissance de la cybercriminalité avec 80% de ses ordinateurs infectés par des virus et autres logiciels malveillants. Il y a ensuite le cyber-harcèlement qui comprend l’interception illégale de message, l’accès à des données privées, la pornographie enfantine, la diffusion de fake news, le chantage consistant à soutirer de l’argent à des particuliers sous la menace de diffuser d’images compromettantes ou de dénigrement dans les réseaux sociaux.

* Quelques données sur les pays africains les plus touchés par la criminalité

  1. Le Kenya : 35e mondial des menaces en ligne. Les attaques par logiciels exploitant des failles de sécurité sont les plus récurrentes dans ce pays avec 72 millions de détections d’attaques et 177000 tentatives bloquées. Depuis le début de l’année 300.000 machines zombies (appareils connectés faisant partie d’un botnet) ont été détectés.
  2. Le Nigéria, 50e mondial enregistre des attaques par porte dérobée et par logiciels espions : 46.000 attaques ont été notées en 2023. Il faut préciser que selon le FBI, en 2021 ce pays occupait la 16e place au classement des pays les plus touchés par la cybercriminalité.
  3. Afrique du Sud: 82e mondial, ce pays est victime d’attaques par porte dérobée et logiciels espions avec 1,6 millions de machines zombies[2] pour l’année 2023 et 230 millions de détections d’attaques. La cybercriminalité aurait coûté 2,2 milliards de rands sud-africains (soit environ 112 000 000 d’euro) par an.
  4. La Côte-d’Ivoire, est un centre majeur des attaques en ligne. Des millions d’attaques de spams, de phishing et de malwares ciblent les entreprises et les particuliers. A titre indicatif : plus de 2 millions d’attaques sont ciblé les PME ivoiriennes en 2023 ; sur les 80.000 par jour qui visaient le continent africain, la Côte-d’Ivoire était la cible privilégiée des pirates du web.

Les conséquences sont d’abord économiques avec des pertes estimées à 10% du PIB de l’Afrique en 2023, soit 4 milliards de dollars US en valeur absolue. L’augmentation des extorsions en ligne de l’ordre de 70% des crimes numériques  en 2023 affecte directement les institutions financières, les forces armées et les organismes de régulation des télécommunications. Les PME sont en outre devenues plus vulnérables à cause de ces pratiques.

 

Face à ce fléau, la modicité des moyens financiers demeure le principal handicap à cette lutte.

La convention de Malabo sur la cyber sécurité et la protection des données à caractère personnel, adoptée en 2014 par l’Union Africaine est une bonne initiative  qui malheureusement n’est entrée en vigueur que le 8 juin 2023 et seuls 15 des 55 pays  de l’UA l’ont ratifiée. L’institution de la rencontre annuelle en Côte-d’Ivoire du Cyber Africa Forum permet aussi aux dirigeants des secteurs privé et public de discuter en profondeur des enjeux de la cybercriminalité, ce cancer des économies et de la paix en Afrique.

Seule une mobilisation et une synergie des actions à l’échelle continentale pourrait impacter durablement et en profondeur l’évolution de la cybercriminalité en Afrique.

III/ Des bandes armées et milices plus ou moins islamistes ou non islamistes

Les principaux groupes qui opèrent peuvent être classés en deux catégories : les groupes islamistes et ceux non-islamistes.

Ainsi, s’agissant des groupes islamistes, Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden s’est déployé dès 2007 au Maghreb sous le nom d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique),  sous la direction depuis 2020 de Abu Obaida Youssef Al Annabi (dont la mort déclarée n’a pas encore  été confirmée).

Comptant au départ quelques 800 combattants déployés entre l’Algérie, le Mali, la Mauritanie, la Tunisie, la Libye, le Niger, le Burkina Faso, ce groupe terroriste visait d’abord à instaurer au Sahel un « califat islamique » fondé sur la Charia.

Aujourd’hui, Aqmi et d’autres groupes islamistes dont Daesh se rejoignent au nom de l’État Islamique au grand Sahara (EIGS), pour affronter le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), devenu « G4 » avec le retrait du Mali, avant de disparaitre en 2023. A ce propos, il convient de signaler que le Mali, le Niger et le Burkina Faso se sont retrouvés pour créer une alliance politico-sécuritaire dénommée Alliance des Etats du Sahel « AES » qui n’a jusqu’ici connu comme principal succès, la récupération de Kidal au nord du Mali entre les mains des rebelles du Cadre Stratégique Permanent (CSP)[3], avec l’appui du groupe Russe Wagner, et comme échec, le rapprochement des groupes terroristes et la multiplication des attaques (plus de 3.000 civils sont tués dans ces trois pays rien qu’entre janvier et juin 2024 selon l’ONG ACLED). Il est à noter que le 17/09/2024, au lendemain du 1er anniversaire de l’AES, le Mali a subit une attaque  djihadiste  du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans « GSIM » qui a fait plus de 70 morts sur les forces de défense et plus de 200 blessés.

Hors du Sahel, sévit au lac Tchad Boko Haram, dirigé par Abubakar Shekau qui se serait suicidé en 2021 suite aux violents combats face à une autre faction djihadiste appelée ISWAP (Groupe Etat Islamique en Afrique de l’Ouest) sous les commandes d’Abou Musab al-Barnawi, affiliée à l’Etat Islamique depuis 2015. Déstabilisant le géant Nigérian, et ses voisins, il menaçait également les pays du Sahel. Plus à l’Est de l’Afrique, la Somalie est fortement déstabilisée par un autre groupe terroriste : les Al-Shebab (un groupe terroriste créé en 2006 et affilié à Al-Qaïda en 2012).

Selon l’entreprise STATISTA, plateforme de données statistiques installée à Hambourg en Allemangne,  les pays Africains ci-après ont été les plus affectées par les actes terroristes dans la periode de 2019 à 2023

Pays Victimes
BURKINA-FASO 5149
SOMALIE 3223
MALI 3094
NIGERIA 2966
NIGER 1805

 

Pour ce qui est des groupes non islamiste, Wagner est sans doute le plus redoutable. Il dispose d’un arsenal militaire à la pointe de la technologie. Présent au Mali, en Centre-Afrique au Soudan du sud et en Libye, il participe à des opérations militaires, à la formation des armées locales, à combattre des groupes rebelles et à protéger certaines personnalités ou des sites d’exploitation de ressources minières.

Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), basé en RDC, nourrissent l’ambition de renverser le régime de Kigali, pour ce faire, elles emploient les méthodes de guérilla et le massacres de civils. Les Rebelles du M23 basés en RDC cherchent également à renverser le gouvernement Congolais et à s’emparer  des régions riches en ressources naturelles.  Les milices armées basées en Centrafrique s’inscrivent dans la rivalité ethnique en attisant la haine intercommunautaire. Le front Populaire de Libération du Tigré (RPLT) opérant dans le nord de l’Ethiopie, cherche à installer l’autonomie de la province du Tigré dans le nord du pays. Les attaques ciblées des infrastructures militaires et les assassinats politiques sont ses principales méthodes.

Pour faire face à ce défi, il faut, pour l’Afrique, promouvoir une coopération sécuritaire plus poussée et travailler à la mise en place de commandements spécialisés dans la lutte contre le terrorisme sur toutes ses formes avec des moyens adéquats. Il faut également miser sur la dé-radicalisation en faisant une contre-propagande qui cible de préférence les jeunes et les couches vulnérables.

IV/ De la contrefaçon et la vente illicite de médicaments

La prolifération des maladies, la cherté des produits pharmaceutiques et le dénuement ambiant dans lequel vivent les populations poussent celles-ci à recourir sans modération aux médicaments contrefaits, vendus dans les rues, dans les marchés hebdomadaires etc. L’impact de tels médicaments est double: d’abord les risques sanitaires, ensuite le manque à gagner causé à la filière pharmaceutique. Selon le Rapport de l’ONUDC 2023 entre 20 et 60% des médicaments vendus en Afrique de l’ouest sont contrefaits ou de qualité inférieure (le pic est assuré dans des pays comme le Burkina Faso et la Guinée où ce chiffre peut aller jusqu’à 80%).

Ces médicaments contrefaits seraient responsables de la mort de 270.000 personnes par an en Afrique subsaharienne. Les antipaludéens et les antibiotiques contrefaits sont la principale cause de cette hécatombe silencieuse. Selon l’OMS 42% des faux médicaments signalés entre 2013 et 2014 provenaient d’Afrique subsaharienne. Le pire est que, 40% de ces produits signalés dans cette zone, ont été découverts de  2013 à 2021 paradoxalement dans la chaine d’approvisionnement légale.

Ces médicaments contrefaits proviennent pour l’essentiel, des principaux acteurs du marché mondial du faux et transitent pour l’essentiel par voies maritimes (notamment les ports de Conakry en Guinée, Téma au Ghana, Lomé au Togo, Cotonou au Bénin Apapa au Nigéria etc.). Ce n’est donc pas un mystère, les pouvoirs politiques connaissent les routes de ce poison, mais leur écoulement facile prouve la profondeur de la corruption dans la région. Des administrations (la douane en particulier), des forces  de sécurité, et des autorités centrales laxistes sont souvent le principal intrant de ce commerce illicite. A cela s’ajoute la faiblesse ou l’absence de cadre législatif et réglementaire pertinent  (autre terreau fertile de la corruption).

En termes de lutte, pour lutter contre ce fléau, il s’agira de mettre en place des législations nationales fortement répressives s’appuyant sur les recommandations pertinentes de la convention Medicrime du conseil de l’Europe. Il s’agira également  de renforcer et d’améliorer les capacités des agences nationales de contrôle et de régulation des médicaments pour avoir un regard plus exhaustif sur les produits qui circulent dans nos marchés et enfin, de renforcer la sensibilisation des populations.

V/ De l’émigration clandestine : une tragédie banalisée

La forme clandestine de l’émigration des Africains et ses proportions inquiétantes interpellent la conscience des dirigeants du monde entier, au premier chef ceux de l’Afrique.

Des adultes, des jeunes, et des femmes apparemment désespérés, s’embarquent clandestinement dans des pirogues surnommées « cercueil flottants » avec le rêve de sortir de la misère.

Les images macabres qui défilent sur les écrans de télé du monde entier ne dissuadent nullement ces voyageurs clandestins téméraires qui scandent fièrement leur cri de guerre « Barça ou barsàq » (atteindre Barcelone ou mourir en s’y efforçant). Des terres qui s’étendent à perte de vue, des métiers et des professions, un sous-sol riche en ressources énergétiques et minières, etc. sont abandonnés par ces migrants clandestins pour rejoindre les côtes européennes et américaines. En plus de révéler les échecs des dirigeants africains en matière de politique de développement et d’épanouissement, cette forme d’émigration clandestine montre également la faiblesse des ressorts psychologiques dont la jeunesse africaine a besoin pour bâtir des nations fières et confiantes.

Dans son édition du 5 juillet 2024, le journal en ligne, https://fr.africanews.com, publiait un article intitulé « L’immigration d’Afrique subsaharienne vers l’Europe de plus en plus périlleuse » révèle que les nouveaux conflits et l’instabilité des pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Soudan sont à l’origine de l’augmentation du nombre de voyages vers la Méditerranée.

Toutefois, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et la Guinée sont en tête de liste des pays   d’origine des migrants.

Une autre source révèle les chiffres scandaleux du drame de l’émigration : le Rapport du collectif Ca-Minando Fronteras[4], dont le siège est à Madrid en Espagne révèle que de janvier au 31 mai 2024, 5054 personnes (dont 154 femmes et 50 enfants) seraient mortes ou portées disparues à la frontière entre l’Afrique et l’Europe, soit une moyenne de 33 personnes par jour ! Ce chiffre ne cesse d’augmenter, montrant l’étendue du désastre et le désespoir des couches vulnérables.

A cela il faut ajouter, toujours selon le rapport, que 47 embarcations ont disparu avec les personnes à bord. La route de l’Atlantique reste, selon la même source, la plus meurtrière avec un total de 4808 morts, soit 95% des victimes enregistrées au cours de ces premiers mois de l’année 2024.

En début septembre 2024, au Sénégal, nous avons assisté au chavirement d’une pirogue en partance de Mbour (70 km de Dakar) vers l’Espagne  avec 224 personnes à bord, faisant de dizaine de morts dont des enfants, des femmes  et des pères de famille.

Trois zones de départ sont mises en cause dans le rapport de Ca-Minando Fronteras : la zone côtière entre Guelmim et Dakhla (249 victimes) ; la route du Sénégal (959 victimes) ; et la route de la Mauritanie qui remporte la palme macabre (3600 victimes). Les victimes sont issues de 17 pays différents ce qui montre qu’on est face d’un malaise général en Afrique. Quant aux routes méditerranéennes, elles auraient fait 246 victimes, celle algérienne est créditée d’être la deuxième la plus meurtrière après celle de l’Atlantique. S’il est vrai que ce drame journalier est l’œuvre de passeurs pyromanes et de gangs sans scrupules, on peut néanmoins regretter le retard inexplicable noté dans l’activation des moyens de recherche et de sauvetage.

Le défi actuel de l’Afrique, est de redonner espoir à cette jeunesse au point de la fixer sur ses terres et de gagner la bataille de l’autosuffisance alimentaire.

Il faut investir dans l’éducation et dans l’acquisition accélérée de la science et de la technique afin d’être maitre et possesseur de nos ressources naturelles. Il faut domestiquer la science et la technique afin de les mettre au service de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de la maîtrise de l’eau, etc. La pire solution, c’est le pessimisme et la résignation : le défaitisme n’est pas un choix, c’est un suicide.

VI/ De l’exacerbation de la corruption

L’Afrique, continent pauvre, constamment à la quête de financement et  d’investissement, est aujourd’hui une destination privilégiée de l’argent sale, et une porte de sortie de flux financiers illicites issus essentiellement  de la corruption.  Selon le rapport de  l’Agence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement « CNUCED », publié en 2020, le continent africain aurait perdu au titre de ces flux financiers illicites entre 2005 et 2020, 836 milliards de dollars US, montant nettement supérieur à la dette extérieur de l’Afrique (770 milliards de dollars US en 2018).

Il n’y a presque pas de secteur où la corruption n’opère en Afrique (l’administration déconcentrée, les collectivités locales, l’armée, la police, l’administration financière, le secteur privé etc.). Même l’enseignement qui devrait être l’enceinte sacrée où on inculque science et droiture est aujourd’hui minée par la corruption.

Selon le rapport 2023 de Transparency International, les pays les moins corrompus de l’Afrique (Seychelles, Cap Vert, Botswana) occupent respectivement  le 20ème, 30ème et 39ème rang mondial.

De même, le continent africain comporte les pays les plus corrompus du monde avec  la RDC, le Soudan, la Lybie, la Guinée Equatoriale,  le Soudan du Sud et la Somalie au dernier rang à la 180ème place.

La lutte contre ce fléau ravageur, exige une véritable volonté politique des dirigeants africains, visant à l’application sans restriction des dispositions pertinentes de la convention de Merida de 2003, de la convention de Maputo du 11 juillet 2003 et du protocole de la CEDEAO de 2001 le tout contre la corruption.

VII/ De la contrebande des ressources minières

L’instabilité politique et l’approfondissement de la corruption en Afrique de l’ouest ont favorisé l’émergence d’activités de contrebande touchant notamment l’or, le diamant, le tabac etc.. A titre indicatif, les données douanières des Émirats Arabes Unis (EAU) estiment à 15,1 milliards de dollars la valeur de l’or issu de la contrebande en provenance du Sahel qui aurait pénétré dans le pays au cours de l’année 2018.

Selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), 2 tonnes d’or auraient quitté frauduleusement en 2018,  le Burkina Faso pour le Togo.

En 2020, 2700 kilos d’or seraient irrégulièrement sortis du Sénégal vers Dubaï par jet privé avec un ordre de mission et un manifeste de vol délivré par les anciennes autorités. Ce dossier est présentement en instruction devant les juridictions sénégalaise compétentes.

Ce n’est là que quelques exemples sur une fraude beaucoup plus massive qui touche l’ensemble des pays africains producteurs d’or, de diamant et de métaux précieux.

Pour lutter contre ce fléau, il serait nécessaire de renforcer la coopération (échange d’informations) ainsi que les moyens matériels  des services de Douane de même que les autres forces chargées de la surveillance des frontières.

VIII/ Du trafic de drogues dures dont la cocaïne

Selon le rapport mondial sur les drogues 2023, de l’ONUDC, les drogues les plus consommées en Afrique, au cours de la dernière décennie sont le cannabis, la cocaïne, les amphétamines, l’opium etc. Selon toujours le rapport de l’ONUDC, 80 tonnes de cocaïne auraient été saisies en Afrique de l’Ouest entre 2019 et 2023 avec 7,8 tonnes pour le Cap Vert ; 5,8 tonnes pour le Sénégal ; 4,2 tonnes pour la Guinée etc.

La porosité des frontières est mise en cause comme facteur facilitant ce transit criminel qui, dans certains cas, permet de financer certaines activités  terroristes. L’Afrique étant majoritairement peuplée de jeunes désœuvrés et sans source de revenus, constitue un terreau fertile à la consommation et au trafic de drogue.

Au regard de ce qui précède, il est claire que la lutte contre le trafic de drogue en Afrique en général nécessite le renforcement des moyens matériels, scientifiques et technologiques  des forces de sécurité dont la Douane et  des forces de défense, avec l’implication dans ce combat, les populations, la presse et la société civile dont les ONG.

IX/ Du trafic d’êtres et d’organes humains

Beaucoup de drames se produisent dans le désert libyen et dans les autres zones de passage vers l’Europe sans que le monde n’en fasse écho. Dans un rapport daté de septembre 2021 Interpol alertait en ces termes : « Il est établi que la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes est le fait de groupes criminels organisés attirés par les profits considérables à réaliser. Les informations recueillies portent à croire qu’une multitude de protagonistes sont impliqués dans le trafic d’organes en Afrique du Nord et de l’Ouest et entretiennent des liens avec le secteur médical en Afrique et au-delà, notamment en Asie et au Moyen-Orient ».

En Afrique du nord et de l’ouest, les personnes vulnérables sont la cible des malfaiteurs qui leur promettent de les sortir de la précarité. Si l’on en croit Interpol, ce trafic est entretenu par des réseaux transnationaux qui entrent fréquemment en contact avec les receveurs via Internet.

Le phénomène de l’émigration clandestine permet d’huiler davantage la machine du trafic d’organes. En Libye, le trafic d’êtres humains est constamment alimenté par les vagues de migrants qui ne cessent d’augmenter malgré les risques connus de tous les candidats à l’émigration en Europe. Les personnes victimes de trafic d’organes pourraient s’estimer à plusieurs centaines. Selon l’envoyé du HCR pour la Méditerranée occidentale et orientale « la plupart des gens sont drogués, l’organe prélevé sans leur consentement et ils se réveillent avec un rein en moins ».

Les conséquences de ce trafic sont incalculables vu la faiblesse des données statistiques. Toutefois, les donneurs victimes quant à eux sont exposés à une santé précaire.

Les moyens de lutte  sont d’ordre législatif, réglementaire et sécuritaire, mais très souvent insuffisants face à l’étendue et à la complexité du phénomène.

Il n’est pas facile de venir à bout d’un système aussi huilé et avec des enjeux financiers aussi conséquents, mais si on mise sur l’information, la formation et la synergie des énergies des principaux acteurs de lutte contre le crime organisé en Afrique et dans le monde, on pourrait dans l’avenir lui porter un lourd préjudice.

X / Du trafic d’armes légères et de petits calibre

Le marché mondial des armes est estimé en 2011, à plus de 500 milliards de dollars US par an et représenterait 40% de la corruption dans le monde selon une étude de l’Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm (SPIRI).

Dans le même ordre d’idée, l’Institut Small Arms Survey installé à Genève, en Suisse, spécialisé dans les analyses factuelles nécessaires à l’élaboration des politiques sur les questions d’armes légères et de violence armée à l’intention des gouvernements et d’autres décideurs, affirme que sur plus d’un (1) milliard d’armes légères et de petits calibres en circulation dans le monde, 857 millions seraient entre les mains de civils, seuls 156 millions seraient détenues par les forces de sécurité et de défense.

S’agissant de l’Afrique, l’Organisation des Nations Unies affirme que plus 500 millions d’armes légères non déclarées seraient en circulation en Afrique de l’Ouest avec 80% entre les mains des civils. Le Nigeria à lui seul détiendrait 70% de ces armes soit 350 millions.

Les  armes restantes seraient en circulation:

  • en l’Afrique de l’Ouest, au Mali; au Burkina-Faso; au Niger; dans la partie Sud du Sénégal, qui sont des zones d’instabilité politique et sécuritaire;
  • en Afrique Centrale, avec la Centrafrique; la RDC; le Tchad, secoués par des guerres civiles et une instabilité politique permanente;
  • en Afrique du Nord, avec la Lybie qui est également une zone d’instabilité politico-sécuritaire depuis la chute de Momar Kadhafi en 2011.

Au regard de ces quelques exemples, on peut déduire que l’instabilité en Afrique a de l’avenir si on ne fait rien pour juguler le trafic d’armes.

La question est dès lors  de savoir, quelles sont les solutions viables pour éradiquer ce fléau.

 

 

[1] La grande Muraille verte est conçue comme un long couloir de 15km de large traversant tout le continent africain sur 7800km en passant par 11 pays reliant Dakar (Sénégal) à Djibouti. Elle représente environ 117000 km2, ou 11,7 millions d’hectares.

[2] Ordinateur contrôlé à l’insu de son utilisateur par un cybercriminel

[3] Cadre Stratégique Permanent qui revendique l’indépendance de l’AZAWAD « nord du Mali »

[4]Collectif né en 20002 regroupant plusieurs acteurs de défense des droits humains sur différents territoires de la frontière occidentale Euroafricaine